Amour épistolaire

Publié le par Sarah Lama

 

 

«  Doutez que les étoiles ne soient de flamme

Doutez que le soleil n'accomplisse son tour

Doutez que la vérité soit menteuse infâme

Mais ne doutez jamais de mon amour. »

[William Shakespeare]

 

 

Mon tendre amour, toi qui luis et luira toujours dans mon coeur,

 

Les nuits sont glacées sans toi, mes jours sont vides, et ma vie triste au possible. Je n'ai plus vraiment de courage. J'ai réalisé qu'en te perdant, j'ai perdu tout désir et toute envie. Alors je t'écris, sans doute par peur que tu m'oublies ; je t'écris parce que je pense sincèrement que la seule vérité en ce monde se trouve dans les mots. Je suis tiraillée de doutes et d'incertitudes. La violente façon dont nous nous sommes séparés, dont nous nous sommes à jamais perdus de vue, me laisse un goût fort amer. Mes pensées sont aussi sombres que ces longues nuits sans lune où je compte les heures, les minutes, les secondes loin de toi. Pour tout t'avouer, cela fait précisément sept jours, cinq heures, trente-quatre minutes, vingt-six secondes que tu as disparu de ma vie. Et ces sept jours, cinq heures, trente-quatre minutes, vingt-six secondes, je les ai passés à ruminer ma solitude et mon désarroi. Où te trouves-tu, à l'instant où j'écris ces quelques lignes ? Que fais-tu ? Mon écriture est maladroite, j'en suis consciente, mais je ne trouve pas les mots justes, et mon assurance à tenir la plume s'est envolée avec mon amour. Sache que je ne cherche aucunement à te faire culpabiliser. Je souhaite juste te donner quelques nouvelles de moi, de celle dont tu te fiches éperdument désormais. J'avais espéré te connaître et te guérir de tes douleurs. Y suis-je seulement parvenue ? Cette simple idée parviendrait à dissiper mes craintes, à me redonner ne serait-ce qu'un semblant d'éclat, mais hélas, à mon grand dam, tu n'es pas à mes côtés pour me répondre. Tu ne me répondras certainement jamais. Quels ont-été mes torts ? Il me semble que ma plus grande erreur fut de t'aimer, t'aimer profondément, sincèrement, passionnément. T'aimer sans relâche, de jour en jour, de nuit en nuit. T'aimer toujours plus. Toujours plus fort. T'aimer comme on aime les rayons du soleil en été. T'aimer comme on aime la pluie du matin qui rassemble un ballet d'odeurs merveilleuses. T'aimer comme on aime la mélopée silencieuse de la nuit qui berce tendrement nos songes. L'amour est véritablement une chose absurde que j'aurais préféré ne jamais vivre. On dit de l'amour qu'il est sublime, absolument magnifique, mais on omet souvent de souligner que la splendeur d'un amour est souvent accompagné d'un cortège de souffrances indicibles. M'aimais-tu un tant soit peu, toi, l'Intouchable ? Celui qui souriait constamment, mais dont il était impossible de connaître les pensées véritables ? Dans mes illusions, je me plais à me dire que oui, tu m'aimais, sans doute moins que moi, mais tu m'aimais. Tu as simplement eu peur. Tu as eu peur que cet amour ne te rattrappe, qu'il te détruise, qu'il te change. Tu as étouffé les flammes qui embrasaient ton âme, tandis que moi, je les ai attisées. J'ai trop joué avec le feu, j'ai fini par me brûler sévèrement. Je me suis consumée dans ce brasier. Il ne reste de moi que des cendres incandescentes, comme celles qui irradiaient à l'extrémité de ta cigarette. Malheureusement, je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas invincible. Je ne renaîtrai pas de mes cendres. Si tu le peux, rends-moi un ultime service. J'aimerais une belle sépulture, une sépulture pour un coeur brisé.

 

Tu sais sans aucun doute avec quelle ardeur brûlante j'ai souffert de ton départ. Mais dans une consternante impuissance, je n'ai pas réagi. Je t'ai tout simplement regardé t'en aller, disparaître au loin, mais je n'ai pas cherché à te rattrapper. J'avais trop lutté, je n'avais plus la force ni le souffle suffisant pour me lancer à ta poursuite, éplorée, en espérant que cette fois-ci, tu accepterais de garder au creux de ta paume la clef de mon coeur. J'en viens parfois à me demander si ce n'est pas ce que tu aurais voulu. Si ce que tu désirais de toute ton âme n'était pas de me voir me mettre à genoux devant toi, de t'implorer, de te supplier de m'aimer. Tu m'aurais alors considérée avec cette tendre hautainerie dont tu as le secret, tu m'aurais caressé les cheveux dans un geste paternel, glissant tes doigts osseux entre chaque mèche sombre et emmêlée, tu aurais sûrement consenti à m'aimer, plus par pitié que par amour véritable. Tu me voulais voir désespérée, au bout du rouleau, te réclamant à corps et à cris. Tu ne pouvais supporter le fait que j'allais bien, que nous allions bien, alors, comme tu refusais d'achever de te détruire, il a fallu que tu me détruises, moi, celle qui cherchait péniblement à glisser ses pas dans les tiens. Une cruelle déception à mon actif. Encore une. Pourquoi dois-tu te sentir apaisé dans le tourment, dans le chaos le plus total ? Pourquoi ne pas te contenter d'être heureux, d'être serein, et comblé ? Durant toute ton existence, tu as cherché à obtenir des choses, des trésors auxquels tu accordais une importance inouïe. Mais, lorsque tu les obtenais, au lieu d'en jouir pleinement, tu les jetais par les fenêtres. Parce qu'une fois trouvé, le trésor n'a plus aucune valeur. Il perd de son éclat, il perd de son caractère précieux. Il devient terne, triste, commun. Tu voulais une raison d'être. Pourtant, tu es destiné à chercher infiniment un trésor que tu finiras par rejeter pour continuer à chercher, chercher inexorablement, inlassablement. Je crois, au fil du temps, avoir finalement compris de quelle étrange façon tu fonctionnes. Tu ne veux pas du bonheur, tu lui tournes le dos. Tu te complais dans ton malheur. N'est-ce pas le plus triste destin du monde que celui d'un individu qui aspire à être le plus malheureux des hommes ? Je ne trouve rien de beau dans le malheur. Rien de magique. Je n'y vois que du gris tirant vers le noir, alors que je souhaiterais y trouver un peu de blanc. Après tout, il est peut-être mieux qu'il en soit ainsi. Je suis fatiguée de ta lunatie sempiternelle, fatiguée de tes coups de tête, fatiguée de toi. Aujourd'hui, et sans toi, je vais recommencer à vivre. Cependant, je ne guérirai sans doute jamais de cet amour qui m'a profondément rongée. Tu resteras malgré tout celui qui habite mes pensées, celui qui fait vibrer mon coeur. Je ne vivrai plus pour toi, mon amour, mais pour ton souvenir. Le souvenir de ton regard intense, de ta voix rocailleuse, de tes gestes lents et mesurés. Si nos routes devaient se croiser de nouveau, je te dirais que je t'ai aimé, que je t'aime, et que je t'aimerai comme jamais je n'aimerai quiconque. Rien de plus. Et je continuerais ma route, le coeur serré dans un étau glacé.

 

Au moment où je t'écris, je veux que tu saches que je me porte très bien. Je traîne ma solitude dans ma nouvelle demeure. Il y fait un peu froid, mais je m'y sens bien, je m'y sens comme chez moi, alors que j'avais toujours eu la sensation d'être une étrangère, et ce où que j'aille. Je n'ai pourtant personne à qui parler. Ce mutisme permanent me rend euphorique. Je travaille un peu. Pas assez, cependant. Mais cela n'est pas plus mal. J'ai ainsi plus de temps pour me plonger dans des songeries inutiles. Je pense à toi, un peu, mais surtout à ce que je vais faire par la suite. Je ne peux me permettre de demeurer oisive durant longtemps, bien que cette vie ne me déplaise pas. Mes nouveaux voisins sont fort agréables. Ils ne me dérangent jamais, si ce n'est pour me demander quelques services que je leur rends en général avec un immense plaisir. A vrai dire, ils ne sont pas très doués pour relever la conversation. Ils se contentent d'acquiescer au flot de paroles que je débite. Parfois, j'ai même l'étrange impression qu'ils ne parlent pas ma langue. Enfin, je ne vais pas m'en plaindre. Leur compagnie n'est pas si plaisante, en réalité ... Quand j'observe le monde qui m'entoure désormais, j'ai le sentiment d'avoir rejoint une sorte de jungle urbaine dont j'ignorais tout auparavant. Il y a tellement de bruit dans mon quartier que je peine tous les soirs à m'endormir. De toute manière, même dans le silence le plus complet, je pense que je n'y parviendrais pas. Les nuits me paraissent plus sombres ici. Les jours plus fades. L'air est frais, un tantinet pollué. Je n'ai pas même de jardin, pour tout t'avouer, je n'en ai pas réellement besoin. Au travail, on ne s'intéresse pas à moi, on fait comme si je n'existais pas. Je reçois des regards courroucés, ou alors embarrassés. Je ne sais pas si je vais continuer longtemps dans cette voie, je ne suis pas faite pour cela. Le seul avantage que j'y trouve est que je suis mon propre patron. Mais je gagne si peu que cela me paraît dérisoire, si ce n'est négligeable. Mes parents ne me manquent pas. Pour la première fois de ma vie, je suis libre, indépendante. Heureuse ? J'ai oublié ce qu'était le bonheur. Peut-être que c'est ça, le bonheur. La solitude, le silence, le froid. Ou peut-être n'avons-nous pas tous la même définition de ce qu'est le bonheur ...

 

 

Enfin, j'espère de tout mon coeur transi que ces quelques nouvelles t'ont rassuré, ou t'ont fait plaisir. Si tu as le temps, j'apprécierais beaucoup que tu me rendes visite. J'habite dans un carton, dans une impasse, située entre la cinquième et la quatrième avenue. Il y fait bon vivre. Si tu veux également passer me voir au travail, j'exerce la plupart du temps mes fonctions à l'entrée du marché. Je fais la manche. Sur ce, j'ai assez écrit. L'encre de mon stylo s'épuise, et ma feuille se froisse. Je te quitte ici pour aujourd'hui. Je t'aime tellement, Monsieur Constant.

 

 

D'un coeur à un autre.

Passionnément tienne, et pour toujours,

Ta Sarah.

 

 

Post-Scriptum : Cela m'a fait énormément de bien de t'écrire, mais je crois que tu ne recevras pas cette lettre de sitôt ... Je n'ai pas même un sou à dépenser afin d'acheter un timbre ... J'en suis navrée. Accepte mes excuses les plus sincères. A bientôt.

 

 

Publié dans What Sarah Said

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M
<br /> C'est parce que tes articles n'ont pas à être reprisé. Quand on attend la perfection, on ne peut se permettre de la dénigrer. Et pour ce qui est de mes "analyses" -futiles- ne doivent pas ternir la<br /> suite de ce texte.<br /> Mais bien sûr, ton article est à la hauteur des précédents, alors pour ne pas me répéter, relis les anciens commentaires !<br /> Merci encore une fois, même si tu ne m'as pas fait pleuré contrairement à auparavant.<br /> <br /> <br />
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