La Boîte de Pandore

Publié le par Sarah Lama

 

 

« Et seule l'Espérance,

 Plus lente à réagir,

 Y resta enfermée. »

 [Légende de la boîte de Pandore]

 

 

« Je me souviens de cette église, sortie tout droit des méandres de mon enfance. Une église toute de briques bâtie, érigée au sommet d'une colline, et qui, de son piédestal de verdure, veillait, impérieuse, sur la ville en aval. Ma mère et moi nous y étions rendus lors d'une pâle journée d'automne, des suites des complications de la maladie de mon père. A l'époque, j'étais sans doute trop jeune pour comprendre, trop inconscient du monde qui m'entourait, pour comprendre la maladie, la mort, et tout ce qui s'y rattachait. Je ne connaissais que la candeur de l'enfance, une tendre existence sans aucun souci, bercée par les rires et l'amour désintéressé. Chaque jour, je passais près de mon père sans constater son état. Sans doute parce que je l'avais toujours connu ainsi. Faible, d'une maigreur à en faire pâlir plus d'un. Constamment, il faisait les cent pas dans sa chambre, comme par automatisme. Parfois, il se couchait à même le sol, tremblant, les yeux révulsés, les lèvres entrouvertes desquelles s'échappaient des larmes translucides. J'en venais parfois à me demander s'il était normal, s'il possédait une conscience. Je l'observais à la dérobée comme on observe un animal. A mes yeux, il n'avait rien d'un père. Et souvent, lorsqu'elle le regardait, lorsqu'elle s'occupait de lui, ma mère laissait s'épancher des sanglots silencieux. J'en vins alors à le haïr du plus profond de mon coeur pour la tristesse qu'il semait dans le coeur charitable de ma génitrice, celle qui parvenait à me rendre heureux d'un sourire, d'une parole, d'une caresse. Malgré tout, elle demeurait aux côtés de cet homme pour qui elle cultivait un amour douloureux, et naïvement, je persistais à en chercher la raison. L'amour n'expliquait pas le fait que ma mère dût se sacrifier et faire preuve d'une telle abnégation. Du moins, je le pensais à l'époque car je ne connaissais absolument rien de l'amour.

 

Durant cet automne où la nature se mourait, je me devais d'avoir une pensée pour mon père. Dans l'église si chère au coeur de ma mère, nous priâmes longuement, avec acharnement. Nous priâmes ce Dieu invisible qui, comme ma mère se plaisait à le prétendre, prendrait soin de nous et serait à même de lui rendre l'homme dont elle était tombée amoureuse par le passé. J'ignorais ou non si ce Dieu existait réellement, ou s'il était juste une légende populaire destinée à alimenter les esprits des braves. Mais je priais pour aider ma mère, pour aider mon père. Je priais car cela demeurait l'unique chose à faire, puisque rien d'autre ne fonctionnait. Nous nous raccrochions à une chimère. « Pour garder espoir », disait ma mère, les yeux humides d'avoir trop pleuré. « S'il n'y a plus d'espoir, alors que nous restera-t-il ? » Mais les prières furent vaines, inutiles. Mon père s'éteignit dans un accès de démence frénétique. Ma mère ne fut plus jamais la même à sa mort. Son sourire s'effaça, sa joie s'envola. Sa bonté ne fut plus qu'un lointain souvenir. Sans cesse, elle paraissait ailleurs, déconnectée de ce monde infâme dans lequel elle évoluait sans réelle passion. Son regard s'était vidé de cet éclat et de cette combattivité qui lui étaient propres. Il n'y avait plus d'espoir. Que nous restait-il alors ? J'aurais dû maudir Dieu de n'avoir pu sauver mon père et d'avoir laissé ma mère se détruire de la sorte. Pourtant, au contraire, je me mis à croire en lui avec davantage de force, intimement persuadé qu'il serait capable de réparer ce qui avait été brisé en nous. Chaque soir, en me tournant vers le ciel, je lui adressais une parole, un mot, m'attendant à recevoir tôt ou tard ces dons de l'esprit dont tout le monde parlait à perdre haleine.

 

« Si je prie pour toi, tu redeviendras ma maman ? »

 

Elle ne le redevint jamais. Jamais. Alors, je cessai de prier, définitivement. Je maudis Dieu, et, avec la rage de vivre, je me mis à chercher ce dernier rempart, cette passion qui me permettrait de lutter encore. Dans la musique, je trouvai enfin mon inspiration, ma liberté, ce baume au coeur qui m'avait tant manqué ces dernières années. Je répondis à l'appel de l'instrument. J'en fis mon métier ... et mon espoir. Devenu adulte, je retrouvais peu à peu mon bonheur, le bonheur oublié de cette enfance bafouée. Puis, après cela, je rencontrai Marianne. Et je compris enfin ce qu'était l'amour dont me parlait auparavant ma mère. De dix ans ma cadette, elle exerçait la noble fonction de cantatrice au Conservatoire où je me représentais. Elle avait cette beauté à la fois fragile et puissante, cette voix troublante, envoûtante de rossignol. La sirène, charmée par mes performances, me demanda d'être son pianiste. Je lui demandais en retour d'être ma femme. Le deal sembla lui paraître juste et élégant, puisqu'elle accepta sans hésitation. Et, ensemble, nous vécûmes quelques années de bonheur partagé.

 

 

~*o§o*~

 

 

Je me souviens de cette église, sortie tout droit des méandres de mon enfance. J'y retournai à la mort de Marianne. L'espoir commençait à manquer dangereusement. J'arpentais le monument dans un silence religieux, comme il se devait. Je m'assis un instant devant l'autel, murmurai une prière à la hâte, conclus par un "Amen" de circonstance. Le Christ couché sur l'icône m'observait, tranquille, souriant sous sa barbe hirsute. Je me levai de nouveau, fit le tour, admirai les vitraux, les colonnes rouge terre, les cierges de cire d'un blanc immaculé. C'est alors que je remarquai, parmi tous ces cierges imposants et à la flamme vive, une bougie mystérieusement éteinte. Sans doute sa mèche était-elle épuisée, mais cette vision m'attrista malgré tout pour une raison que j'ignorais. Je me mis en tête de rallumer ledit cierge à l'aide de la flamme encore mûre de l'un de ses camarades. Le feu se raviva sur la mèche, lumineux, comme l'espoir, et il me réchauffa profondément le coeur. Cependant, quelques secondes après cela, la flamme s'affaiblit jusqu'à se transformer en un point rouge incandescent. Puis, derechef, elle regagna en force, en vitalité, lors d'une flambée victorieuse. Et ce fut la fin. La lumière devint obscurité. On ne pouvait plus retourner en arrière. L'anéantissement par étape de la flamme me rappela la condition humaine. Au départ, nous sommes bouillonnants de vitalité. Peu à peu, cette vitalité vient à manquer ; nous nous affaiblissons, nous ne sommes plus qu'un point insignifiant dans le monde, prêt à s'éteindre à tout moment. Mais, lorsque nous approchons de la fin, un dernier élan de vie désespéré s'empare de nous, nous nous relevons pour mieux tomber. Tomber pour, cette fois-ci, ne plus jamais nous relever. C'est un fait universel.

 

La mort nous rapproche plus que jamais de la vie.

 

Je l'ai appris à mes dépens. »

 

 

 

 Pensées extraites de l'esprit torturé de P.C. Liot.

  

 

~*o§o*~

 

 

 (...)

 

 « Dis, avant de mourir, j'aimerais revoir tous ces lieux qui ont bercé mon existence. Revoir aussi toutes ces personnes qui m'ont aidée à grandir. Tu sais, un peu comme un pélerinage ... »

 

« Un pélerinage ? »

 

« Oui, un pélerinage. Revisiter mon passé pour mieux affronter ce qui m'attend de l'autre côté. Ne pas avoir le moindre regret. »

 

« Un pélerinage dans le passé, un pélerinage de ta propre existence. Je vois ce que tu veux dire. »

 

« Eh bien, quand ce pélerinage sera venu, je veux que tu sois à mes côtés. Que tu ne me lâches pas d'une semelle. »

 

« Je ne t'ai jamais lâchée. Je suis comme ce caillou dans ton soulier. Celui qui persiste, même lorsqu'il devient agaçant. »

 

« Tu n'as jamais été agaçant. En fait, je ne veux pas que tu m'accompagnes durant ce pélerinage. »

 

« Pardon ? »

 

« Non. Je veux que tu SOIS mon pélerinage. »

  

 (...)  

 

Publié dans What Sarah Said

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